- Biographie
- Chez d'autres editeurs
- Critiques
- Liens
- Autour des auteurs
- Audio-vidéo
Ecrivain, traductrice, née à Tokyo, vit à Paris depuis 1997.
Elle écrit dans les deux langues, le français et le japonais. Elle a publié sept livres en français, notamment chez POL. Elle a traduit en japonais Atiq Rahimi, Jean Echenoz et Mathias Enard ; en français, Gôzô Yoshimasu et Yôko Tawada.
Dernier ouvrage paru : Ce n’est pas un hasard – chronique japonaise – (POL, octobre 2011).
Fille d’une cuisinière, elle partage la passion des fourneaux autant que celle des livres de cuisine.
Elle anime également cette année (2011-2012) des rencontres littéraires et culinaires à La Cocotte, librairie située dans 11ème arrondissement de Paris, et publie une collection de littérature culinaire japonaise, « Raconte-moi une histoire de cuisine ».
Calque, P.O.L, 2001
Deux marchés, de nouveau, P.O.L, 2005
Héliotropes, P.O.L, 2005
Ce n’est pas un hasard, P.O.L, 2011
Des fantômes dans les mets poétiques de Ryoko Sekiguchi
Humanité Quotidien
Alain Nicolas
Un nom,
une provenance,
une substance,
qu’une de
ces qualités
fasse défaut
et l’alimentation devient vaporeuse, de l’émerveillement à l’inquiétude née de la catastrophe.
Manger fantôme, de Ryoko Sekiguchi. Éditions Argol. 88 pages, 12,50 euros. « Quelque chose à l’aspect d’un boudin blanc dans une enveloppe de boudin noir. » Ainsi les Goncourt, dans leur journal, résument-ils, après quelques notations très « artistes », l’impression qu’ils retirent de mets apportés par des Japonais à un dîner. Ryoko Sekiguchi remarque qu’ils ne nomment pas ce plat qu’ils commentent pourtant longuement, risquant même quelques idées générales sur les « bases » de la cuisine européenne et japonaise.
Pourquoi ne pas chercher à savoir le nom de ce qu’on mange ? La question est au cœur de l’étrange et très stimulant ouvrage que nous donne aujourd’hui l’auteur de Calque et de Ce n’est pas un hasard. Poète et traductrice, vivant en France, elle est aussi passionnée de cuisine et organise des moments de partage de mots et de saveurs.
Manger fantôme est né de cette réflexion sur le fait qu’ordinairement, nous mangeons « quelque chose » doté d’une existence tangible, d’une origine, et d’un nom. Qu’une de ces qualités substantielles fasse défaut, et nous entrons dans un monde flottant, « vaporeux », dit Ryoko Sekiguchi. En contrepartie, les mots affluent pour suturer ce manque. Nous pouvons ainsi manger les nuages : expérience simple de la barbe à papa ou de friandises turques ou iraniennes qui font peu à peu leur chemin d’un pays d’Asie à l’autre, en changeant évidemment de nom. « Manger la brume » est une expression japonaise appliquée à la vie d’ermite. Manger la fumée renvoie aux aliments « fumés » mais aussi au goût de la fumée qui s’exhale de la cuisine, ou de la tabagie. Manger la transparence d’une gelée ou d’un poisson finement découpé, c’est l’expérience métaphysique extrême de l’ingestion d’un invisible comestible, l’accomplissement négatif d’un rêve anorexique.
MANGER l’innommable
On peut aussi manger l’inconnu, la description d’un plat, ou l’innommable. C’est l’autre versant de cette situation où quelque chose manque, ici, le nom. Plat sans nom, cuisiné à la diable avec ce qui tombe sous la main, plat dont nous ignorons le nom, comme les Goncourt, où dont nous n’arrivons à identifier ni la saveur ni les ingrédients : bouillies, purées, gelées, pâtes, tout s’y brouille. Peut-on imaginer un plat à proprement parler innommable tout en étant mangeable ? En douceur, Ryoko Sekiguchi nous attire vers le centre vide de ce « manger vaporeux ». Aliments ne renvoyant qu’à un lieu (l’appellation contrôlée dispensant de toute autre déclinaison d’identité), une coutume, un symbole, et pour finir, le « manger fantôme », qui renvoie, sous un mode qu’on découvrira, à cette « zone fantôme » qui s’est créée le 11 mars 2011 quelque part au Japon et dont ce livre merveilleux de subtilité porte à sa façon le manque.
Alain Nicolas
____________________________________________________________________________
Marine Landrot - Telerama n° 3258
Inodores, impalpables, incolores, comme la radioactivité : difficile de mesurer les conséquences de la catastrophe de Fukushima dans la vie quotidienne. Quelques jours après le 11 mars 2011, l'écrivain Hiromi Kawakami le rappelait dans Télérama : « La demi-vie des substances radioactives qui émanent des appareils de la centrale est de huit jours pour l'iode 131, trente ans pour le césium 137, vingt-quatre mille années pour le plutonium 239, quant à l'uranium 235, elle s'élève à sept cents millions d'années. » Trois petits livres viennent chuchoter leur sagesse à l'oreille de ceux qui veulent bien en tirer une leçon, au jour le jour. Pour la délicate Ryoko Sekiguchi, traductrice au Japon d'auteurs français comme Emmanuel Carrère, cela passe par les papilles. Etre capable de goûter la subtilité de l'âpre, du râpeux, de l'amer, rend plus apte à discerner la beauté du monde, aussi effondré soit-il, insinue-t-elle dans son opuscule décapant L'Astringent. Avec Manger fantôme, autre livret précieux, elle incite à ouvrir la bouche aux nuages, aux fumées, aux paroles, et érige en loi intérieure une expression nipponne, « manger la brume », qui signifie « mener une vie d'ermite ».
_______________________________________
Daniel FRANCO
L’oreille (ou)verte.
La poétesse Ryoko Sekiguchi vient de publier un petit livre intitulé L’astringent. En français, « astringent » n’a plus guère qu’un sens culinaire, le mot désignant cette saveur âpre, austère, au contact de laquelle les papilles se rétractent ou se resserrent et – proche en cela de bien d’autres spasmes et raidissements organiques encore plus intimes que ceux de la bouche - porteuse de cette même ambivalence qui semble récuser d’avance toute distribution exclusive au registre du plaisir ou de l’aversion, l’un et l’autre en effet se manifestant indistinctement par des salves d’électrification sommaire et l’activation - plus ou moins forte selon l’ampérage - des muscles horripilateurs. En japonais, « astringent » se dit « shibui », à ceci près qui n’est pas rien - qui est même si peu rien que c’est l’objet même du livre de Ryoko Sekiguchi – que le mot japonais ouvre un champ sémantique d’une richesse et d’une subtilité qui vient comme compenser son sens premier, et sur cette langue encore toute crispée d’avoir recueilli les sucs du kaki ou l’arôme d’un thé vert longuement infusé - mais cette fois en tant que la langue est aussi, du moins quand on n’a pas la bouche pleine, l’organe de la parole – implante dans chaque papille préalablement dilatée l’une des tiges du luxuriant bouquet de significations dont « shibui » serait, au même titre qu’une jeune fille qui porterait ce nom, et le prétexte et la destination. A la page 67 de son livre, Ryoko Sekiguchi, dans le prolongement d’un autre écrivain japonais qui s’appelle Kanoko Okamoto et qu’elle cite également dans Manger fantôme paru conjointement aux mêmes éditions, écrit ces quelques lignes que je trouve formidables et que je m’en vais donc citer à mon tour : « Les douceurs peuvent nous procurer de la joie et du réconfort, le salé nous communiquer l’énergie vitale, mais face à l’énigme de la vie, le sucré ni l’acide ne fournissent de réponse. Au demeurant, il n’est pas de réponse qui fasse pendant à l’énigme. Le fait est bien connu : on ne saurait répondre à l’énigme que par une autre énigme. » Ce que l’auteur saisit et restitue ici en quelques mots d’une simplicité désarmante – mais ce ‘désarmement’ est sans doute un des plus sûrs critères dont nous disposions pour départager la vérité de ses belliqueuses contrefaçons – c’est l’idée selon laquelle la compréhension d’une énigme ne consiste pas tant à briser son enveloppe de manière à en extraire quelque chose qui serait son noyau - d’autant qu’il n’y a aucune raison que le noyau en question ne soit pas lui aussi de part en part énigmatique -, qu’au contraire à lui trouver des résurgences et des relais qui, à défaut de préfigurer ce que Ryoko Sekiguchi appelle une « réponse » à l’énigme, n’en parviennent pas moins à perpétuer cette dernière à l’intérieur d’un réseau plus ou moins défini de signes et de sensations, exactement comme lorsqu’en se promenant dans une ville où on n’a jamais mis les pieds, il arrive parfois que les rues que l’on emprunte nous apparaissent au contraire étonnamment familières et que nous revient alors en mémoire l’étrange souvenir d’un lieu en tout point identique à celui que l’on est en train d’explorer, ce qui loin pourtant de gâcher le plaisir de la découverte, lui confère une sorte de profondeur dans le passé en même temps qu’un redoublement d’épaisseur sous les doigts de la conscience.
Je sais ce que vous vous dites : qu’une fois de plus, je déroge à la clause principale du contrat de confiance qui me lie à Rif Raf et selon les termes duquel je suis censé parler de musique et de philosophie et non de poésie de kiwis. J’ai
néanmoins estimé que ce que Ryoko Sekiguchi disait des aliments et des goûts s’appliquait tout aussi bien aux voix et à leurs timbres. Je rangerais la très grande majorité des chanteurs de variété – ceux du moins que je connais – sous l’un des types fondamentaux que sont le sucré, le salé, l’amer, l’acide, c'est-à-dire ces saveurs dont Ryoko Sekiguchi nous dit qu’elles n’ont certes pas leurs pareilles pour ce qui est de nous prodiguer du réconfort, de la joie ou de l’aplomb, mais qui devant l’énigme de la vie se révèlent pour ainsi dire doublement frappées de mutisme et de surdité, aussi peu capables en somme de lui apporter une réponse que de lui prêter pleinement l’oreille. Les voix « shibui » sont rares, mais elles sont également inimitables et généralement inoubliables. Je les qualifierais volontiers de voix vertes, comme le sont le thé sencha, les liserons d’eau, la chair du kiwi et peut-être même l’oreille de celui qui - le temps d’une chanson - ne sait plus très bien si c’est simplement du son et non pas plutôt de la sève qui est en train de s’écouler à l’intérieur de son corps.
-------------------------------------------------
http://florizel.canalblog.com/
Ryoko Sekiguchi consacre un petit essai tout en finesse à l'un de ces mots sur lesquels tout travail de traduction achoppe un jour : sans équivalent d'une langue à l'autre ou plus précisément avec un équivalent mais deux extensions sémantiques incommensurables, en l'occurrence astringent qui, en français, relève d'un vocabulaire technique et qui, en japonais, occupe une place centrale au point de désigner une catégorie esthétique, une manière d'être.
"En français (d'après le Grand Robert)
ASTRINGENT.
1. Adj. Qui exerce sur les tissus vivants un resserrement, une sorte de crispation plus ou moins sensible. Remède astringent. Astrictif (vieux), hémostatique, styptique. Par extension (en parlant du goût, de l'odeur, d'une plante, d'une substance), saveur âpre et astringente. Acerbe, âpre, austère. Apreté. Par métaphore, fig. une parole astringente "Tout petits baisers astringents" (Verlaine).
2. Nom. Un astringent. Substance qui a pour propriété de resserrer les tissus. Les répercussitfs sont en général des astringents. Principaux astringents : alun, bistrote, butée, cachou. 1537 : astringent : du latin astringens, participe présent de astringere, "resserrer", de ad et stringere, "serrer". "Puis, dudit jour, une potin anodine et astringente,pour faire reposer Monsieur, trente sols". Molière, Le Malade imaginaire, I,1.
En japonais
SHIBUI (adj.)
1) (d'un goût) Qui paralyse la langue, comme lorsqu'on mord dans un kaki âpre.
2) (d'une voix) Qui n'est pas lisse.
3) Qui ne veut pas dépenser. Avare.
4) Peu voyant. D'apparence discrète et calme. Qui dégage une nuance profonde et sereine. D'une beauté discrète.
5) Qui se renfrogne.
6) (D'un objet) Qui ne fonctionne pas bien.
SHIBUMI (n.)
1)Goût astringent. Son degré d'astringence.
2) Se dit d'une esthétique raffinée et profonde (ant. clinquant). Atmosphère discrète et distinguée. S'emploie pour désigner l'apparence des individus, les couleurs, les motifs, la littérature, l'art. "
Qu'est-ce qui se joue dans cet écart ?
Ryoko Sekiguchi. L'astringent. Argol, collection "Vivres", 2012.
Voir aussi le projet deRyoko Sekiguchi : "Raconte moi une histoire de cuisine".
Sakai Hôitsu. Plaqueminier (arbre à kakis). Metropolitan museum.
Oji Masanori, pelle à poussière teinte au jus de kaki et plateau en cuivre coulé à la fonderie Futagami
Posté par florizelle à 00:02 - gourmandises - Commentaires [5]
L'Astringent, par Ryoko Sekiguchi, éditions Argol
Bien, bien, bien ces petits bouquins inédits autour de notes que nous connaissons bien à Du nez au palais ! Encore sur les presses, ce livre original (vous connaissez l'astringence vous ?) fait suite au livre remarqué d'Emmanuel Giraud sur l'amertume et l'amer paru il y a un an pile.
http://dunezaupalais.blogspot.fr/2012/03/festival-du-livre-culinaire-cuvee-2012.html
---------------------------------------------------
Connaissez-vous Ryoko Sekiguchi ?
foodintelligence - Bruno Verjus
http://foodintelligence.blogspot.fr/2012/04/connaissez-vous-ryoko-sekiguchi.html
Ryoko Sekiguchi, fille de cuisinière selon sa biographie est plutôt une fille de l'esprit et du vent. Ecrivain, poète chez P.O.L et traductrice , elle vient de publier deux ouvrages remarquables chez Argol dans la collection Vivres série Paradoxes dirigée par Catherine Flohic - où l'on trouve aussi l'opus du camarade Emmanuel Giraud : L'Amer.
Le premier de ces ouvrages, Manger Fantôme, conte avec intelligence et poésie le vaporeux, l'indicibile. Manger des nuages, la brume, la transparence. Le fantôme de Fukushima en interroge le sens : "le fantôme représente l'annulation de tout ce qui est propre à ce contact, à ce présent, qu'il plonge dans une temporalité uniforme et indéfine. C'est là que réside la tragédie".
"Invisible, inodore, insipide, inaudible, incorporel, impalpable, indescriptible, innomable. Ce qui est innommable est immangeable."
Le second ouvrage dans cette même collection "L'astringent" offre une lecture inédite de cette saveur qui en France reste cantonnée à un désagréable sentiment de sécheresse de la cavité buccale lié à un vin trop boisé ou à la saveur de la peau de noix. Japonaise, Ryoko Sekiguchi nous offre la palette subtile du sentiment : "On parlera ainsi d'un homme astringent ou de couleurs astringentes pour évoquer le bon goût, un certain raffinement."
Ce livre constitue un parcours éclairé entre l'Orient et l'Occident, qui du haïku à l'artisanat de l'astringent Kaki, introduit à l'étonnante richesse d'un goût tant esthétique que gustatif.
A lire absolument ! Argol Editions
--------------------------------------------------
Lire le Japon
Le Monde
http://lirelejapon.blog.lemonde.fr/2012/04/08/lastringent-de-ryoko-sekiguchi/
J'avais beaucoup apprécié Ryoko Sekiguchi lors des conférences au Salon du Livre. C'est pourquoi j'ai acheté et lu son dernier essai L'astringent qui vient de sortir chez Argol.
Ce livre pourra vous sembler très petit si vous l'avez entre les mains, mais il est très dense. On y apprend tout sur ce mot très utilisé au Japon : son histoire, ses déclinaisons (du kaki aux vêtements, en passant par le traitement du bois). Ce livre est une vraie mine d'information sur ce sujet passionnant qui nous fait entrer dans le quotidien des japonais.
Pour les cuisiniers, Ryoko a eu la très bonne idée de glisser à la fin du livre des recettes de kaki (en fonction de leur degré de maturation) qui ont l'air délicieuses !
Vous trouverez donc un découpage très bien fait qui nous permet de ne pas nous perdre : Prologue - L'esthétique de l'astringent au Japon - Le kaki, fruit national - Au fait, qu'est-ce que l'astringence - Le goût astringent - Astringent, amer, âpre - L'astringent, accompagnateur de repas - Epilogue - Recettes
Une lecture très "revigorante" et un essai très réussi !
--------------------------------------------
Le Monde
http://lirelejapon.blog.lemonde.fr/2012/03/30/pierre-gagnaire-et-ryoko-sekiguchi-moment-de-gourmandise-au-salon-du-livre/
En plus du grand choix de livres proposé par la librairie Joseph Gibert au stand Japon du Salon du Livre, j'ai eu la joie de découvrir Ryoko Sekiguchi.
Sourire, joie de vire, cette poétesse et essayiste japonaise installée en France depuis 15 ans est un peu pour moi une Véronique Ovaldé du Japon : très dynamique, rieuse, gourmande !
La rencontre organisée entre cette gourmande de la vie et le chef étoilé Pierre Gagnaire fut un régal.
Ryoko vient de sortir deux essais sur la nourriture chez Argol : L'astringent et Manger fantôme. Elle nous avoue lors de cet échange son amour de la cuisine et son émotion devant un repas (elle a particulièrement apprécié un repas chez Pierre Gagnaire, elle a trouvé de la douceur dans sa cuisine).
Pierre Gagnaire s'est, quant à lui, rendu au Japon à plusieurs reprises, et pour la première fois en 1984. Il avoue ne pas tout comprendre de la culture japonaise, mais avoir trouvé là-bas des partenaires de jeu qui fonctionnent comme lui : très délicats, très soignés, de vraies connexions dans la façon attentive, précise, judicieuse d'amener les différents ingrédients. Il avoue une fascination pour les tempuras. Qu'ils soient créés à partir de feuilles, de légumes, de langoustines, ils sont aériens et montent très haut, comme des nuages. Par contre, s'ils sont blancs au Japon, il les préfère bruns et croustillants !
Ryoko aborde lors de cet échange un thème dont elle a fait un livre : l'astringent. Ce mot n'est pas courant en français mais très utilisé au Japon. Il n'y a d'ailleurs pas la même signification : L'astringent y est défini comme le goût tanin des kakis (fruit national utilisé aussi bien dans les plats salés que sucrés). Pour une personne, il représente le bon goût, le contraire du "bling bling" (mot utilisé par Ryoko qui connaît bien la France !). C'est le côté patiné du cuir ... Pierre Gagnaire explique que chez nous ce serait un peu le contraire : plutôt un côté neuf, une saveur d'agrumes, et donc pour une personne le contraire de la définition japonaise : pas une personne agréable ! Mais entre parenthèses, il trouve le kaki séché extraordinaire pour la cuisine !
Je ne transcrirai pas ici l'ensemble du dialogue mais je souhaiterais finir sur la question "si vous étiez transformé en plat, quel serait ce plat ?"
Pierre Gagnaire a répondu l'eau car tout est un peu eau. Il est effaré d'ailleurs par le gaspillage qui en est fait alors qu'elle manque et manquera encore plus dans les années qui viennent !
Ryoko avec un immense sourire a répondu "une tarte tatin" car elle veut être aimée et tout le monde aime la tarte tatin ! Elle aimerait aussi être un plat de Pierre Gagnaire, un peu comme une belle femme indienne ou iranienne dont elle apprécie particulièrement la beauté.
Je n'ai pas encore lu les essais culinaires de Ryoko, mais je ne manquerai pas de vous en faire part lorsque ce sera fait.
---------------------------------------------
Samedi 14 avril 2012
http://www.berthomeau.com/
Jacques Berthomeau
Dans notre bocage vendéen nous les appelions les mesles, et en cela nous donnions sans le savoir leur nom en vieux français aux nèfles. Dans le Morvan c’était « cul de chien » ou « cul de singe ». Au Bourg-Pailler, il y avait un néflier tout près du poulailler et la grosse plaisanterie à deux balles était d’en proposer aux gars et aux filles de la ville qui venaient passer des vacances à la cambrousse. L’horreur absolue, la bouche et la langue viraient au carton bouilli car la nèfle a la particularité de ne pas être consommable à maturité, car elle est trop dure et trop acerbe, à cause de la richesse en tanins de sa pulpe.
Pour consommer une nèfle il faut attendre qu’elle soit blette, toute molle, marronnasse. Pour ce faire il faut cueillir les fruits à complète maturité, en général après les premières gelées, et les disposer sur un lit de paille dans un cellier frais et sombre pendant une quinzaine de jours. Les nèfles fermentent ce qui modifie la composition chimique de la pulpe. Le fruit blet est sucré mais ne contient pas de saccharose, mais uniquement du dextrose et du lévulose (sucre inverti). Le blettissement génère aussi un peu d’alcool et un goût vineux. Attention les 5 noyaux des nèfles sont impropres à la consommation car ils contiennent de l’acide cyanhydrique.
Pour ne rien vous cacher enfant je n’étais pas un fana des mesles blettes, molles et sucrées, je leur préférais celles qui gardaient une certaine fermeté, un peu d’astringence. En cela, sans le savoir, je me comportais comme un japonais car je privilégiais la résistance, une forme d’aspérité, la beauté discrète, secrète, raffinée face à la facilité de l’onctuosité, de la beauté lisse, offerte… De cette expérience gustative, parmi bien d’autres, je tire un goût prononcé pour tout ce qui me résiste, qui n’est pas courtisan, tout ce qui présente des angles. Pour autant je ne déteste pas les rondeurs, l’opulence, la volupté mais rien ne m’émeut plus que l’arrogance des crêtes iliaques du bassin d’une femme.
Les mesles demi-blettes de mon enfance ont sûrement influencé mon goût du vin et ma prédilection pendant très longtemps pour les vins rouges bien dotés en matière de tanins. Mais qu’est-ce-donc que l’astringent ? Un mot qui dans notre langue n’a pas très bonne presse que l’on associe plutôt à une potion tirée d’une réplique du Malade Imaginaire de Molière.
Dans son petit livre L’astringent chez Argol 12,50€ Ryoko Sekiguchi, écrivain et traductrice qui écrit en japonais comme en français s’interroge « Pourquoi le goût astringent est-il si peu connu en France ? Et pourquoi cet adjectif ne s’est-il pas agrégé de connotations variées, comme tant d’autres adjectifs liés au goût – sucré, salé, amer, piquant ? »
Elle écrit « Si le mot japonais shibumi évoque avant tout le goût du kaki astringent, en France, le mot « astringent » s’emploie surtout à propos du vin, parmi les connaisseurs. Le point commun de ces deux aliments, le kaki et le vin, est la présence de tanins. Dans d’autres aliments, comme le thé ou le coing, dont il sera question plus loin, c’est encore le tanin qui est cause de l’astringence. Et d fait, le goût astringent peut être défini comme un goût tannique »
Pour revenir à prime enfance : deux souvenirs, tout d’abord nous avions tout près du four à pains un immense cognassier et là encore l’expérience de l’astringence m’a marqué (en surjouant les VC, je pense que ce type d’expérience manque à nos jeunes Youpala entrés dans le monde du vin par les idées et non par la découverte primaire de certaines saveurs. Trop intellectuel, préformé, gage d’un bâillonnement de la sensibilité instinctive) ; j’ai détesté ma première tasse de thé mais j’adorais y tremper des petits Brun.
Ryoko Sekiguchi dans le chapitre « L’astringent, accompagnateur de repas, le vin et le thé » développe une approche originale et très convaincante « Au japon et en France, comme dans d’autres cultures où le vin et le thé sont consommés pendant les repas, on retrouve le même discours : que le thé sert à « laver » la bouche, et le vin à « dégraisser » le palais après une bouchée de viande, que cela rafraîchit. La convergence est frappante, quand la présence ou l’absence d’alcool ne fait rien à l’affaire. Ne serait-ce pas plutôt ce léger goût de tanin, présent dans le vin ou dans le thé, qui produit cet effet-là ?
Il n’est pas agréable de percevoir un même goût, quel qu’il soit, en continu. Le palais devient insensible, et on se lassera vite si l’on ne bascule pas de temps à autre en mode « reset », de façon à pouvoir de nouveau goûter la saveur. L’eau s’acquitte d’ordinaire assez bien de ce rôle d’interrupteur, mais il est certains cas, face aux goûts prononcés ou gras en particulier, dans lesquels elle ne suffit pas.
Les autres boissons présentent l’inconvénient de se rattacher à l’un ou l’autre des principaux goûts de la palette gustative, c’est pourquoi toutes ne peuvent pas s’allier à n’importe quel plat. Bien sûr, le thé et le vin possèdent aussi un goût spécifique et répertorié. Je veux croire néanmoins que c’est à l’astringent qu’ils contiennent, et qui ne se rencontre pas fréquemment dans les plats préparés, qu’il revient de « nettoyer » le palais et de faire place nette pour la bouchée suivante. »
Qu’en pensez-vous chers lecteurs ? Et ne me dites pas que je travaille pour des nèfles !
remue.net/spip.php?rubrique454
|