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 Smith Frank

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Frank Smith fait de la radio sur France Culture (« La poésie n'est pas une solution », été 2012 ; co-direction de « L'Atelier de création radiophonique », de 2001 à 2011) et des livres de poésie.

Il collabore au journal L'Impossible, anime la rubrique « Poé/tri » pour nonfiction.fr et est éditeur, directeur de la collection de livres/CDs « ZagZig » qu'il a fondée aux éditions Dis Voir (œuvres originales de Laurie Anderson, Jonas Mekas, Lee Ranaldo, Ryoji Ikeda, Chloé Thévenin, etc. ― à venir : Christian Marclay et Winterfamily).

  En agent de liaison, son travail d'écrivain le conduit à pratiquer le traitement de textes dans la mouvance des poètes objectivistes américains ― hommage post-mimétique en traître à l'écriture. Avec Guantanamo, publié en 2010 aux éditions du Seuil (Coll. « Fiction & Cie ») et mis en scène par Eric Vigner, il inaugure une série d'« investigations poétiques » en phase avec les conflits majeurs du monde contemporain. Sont parus récemment : États de faits, L'Attente, et Gaza, d'ici-là, Al Dante, 2013

Il est l'auteur de fictions et documentaires radiophoniques, et réalise également des courts-métrages (en projet : Le Film des questions). Nombreuses interventions publiques (ActOral Marseille, Maison de la Poésie Paris, Centre Pompidou Paris, MOCA Los Angeles, etc.).

 

D'octobre 2012 à octobre 2013, il a résidé au Domaine de Chamarande (Essonne) où il a présenté une installation collaborative texte/son/vidéo dans l'Orangerie (été 2013). 



"Je pense à toi": que dit-on quand on dit ces mots? Que pense-t-on? Est-ce une pensée, seulement? Quelle sorte de pensée? Quel pensé? Pense-t-on? Est-ce l'expression d'un manque, d'un désir, une promesse? A partir de ces interrogations, dont Levinas fit un temps la matière d'essais – et dans le mouvement d'une résidence dans l'Essonne –, l'écrivain Frank Smith a conçu un livre-strates qui tente non d'épuiser l'énoncé magique — je pense à toi – mais de montrer tout ce qu'il recouvre, tout ce qui le recouvre, tout ce qu'il découvre, aussi. 
 
Chaque page du livre – qui s'intitule Surplis – se présente donc comme la trace et la mémoire accumulées d'autres énoncés nés de cette phrase/pensée matrice. Des carrés et rectangles qui se chevauchent, s'oblitérant parfois, pour dire la juxtaposition des formes, la simultanéité des pistes de pensées. On entre ici dans le monde feuilleté du bégaiement, de la répétition, du "repentir" : dire et redire les choses, garder l'empreinte, sauvegarder la mémoire de ce qui est dit — les énoncés se bousculent calmement, s'enrichissant en même temps qu'ils se disputent l'espace de la page:
"Je pense à toi, c'est se retirer de l'ombre de l'autre" – "Je pense à toi, comment produire une idée de toi?" – "Je pense à toi, Je pense à toi, dans chaque calme fragment c'est ton visage incomplet qui perle et prononce" – "Je pense à toi, je cherche la phrase qui ne te fait pas reculer" – "Je pense à toi, une pratique, je conquiers un  corps de souffle" – "Déraillement, déviation, changement d'aiguillage"…
Au cours de cette quête de la patience – puisqu'il s'agit de mettre à distance le désir caché dans le "toi" pour arpenter les plis et surplis du "je pense" afin d'atteindre sa crête extrême, ce "à" par lequel la pensée non pas s'achève mais, peut-être, s'envole –, d'autres voix sont invitées à revêtir le "surplis" de cette pensée en apparence seconde, additive (addictive?): Jean-Luc Nancy, Alain Badiou, Bertold Brecht, Blaise Pascal, Jacques Darriulat, etc.
 
On aurait tort néanmoins de croire qu'on a affaire ici à un livre désincarné, ou seul le recouvrement aurait valeur performative. La mise en page (due à Julie Patat) – par sa rythmique formelle, son sens du silence, la subtilité de ses variations – instaure un espace propice à la création d'une émotion – et sans doute faut-il s'interroger sur le seul fait qu'un seul mot apparaît barré: "émoi".
Si "je pense à toi" est davantage qu'une pensée, ou moins qu'une pensée, c'est peut-être qu'il s'y joue (s'y perd?) une tension liée au manque, et donc au désir. "Penser à l'autre" apparaît alors sous un jour différent, parce qu'issu d'une nuit, aussi, et l'on y devine à la fois le pressentiment d'un corps (l'absent réincarné par la pensée) et la déterritorialisation de la pensée (le pensée s'affranchissant de sa réflexivité). 
 
Plus liturgique qu'il n'y paraît à première vue, Surplis, par la friction de ses lectures, son invitation à un travail de navette de la pensée, finit par composer un chœur d'énoncés troublant parce que sans doute troublé. Une musique naît des interstices, des clivages, des oblitérations – on y entend alors résonner, ténu, têtu, le "la de l'intempestif", quand le "je pense à toi" se change en "tu manques à ma pensée". 















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